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Des sénateurs plaident pour un « usage partagé » des édifices cultuels

Sécularisation, désertification rurale, regroupements paroissiaux, contraintes budgétaires des communes… Tout semble se conjuguer pour favoriser l’abandon progressif du patrimoine religieux français, dans certaines zones rurales. Sur les 42 300 églises et chapelles paroissiales, 40 300 ont été construites avant 1905 et sont donc la propriété des communes. Bien qu’elles favorisent d’un entretien trop irrégulier, elles ne sont pas, pour l’heure, « en si mauvais état ». Mais une « dégradation rapide » est à craindre.

Telles sont les premières conclusions auxquelles sont arrivés les sénateurs Anne Ventalon (LR) et Pierre Ouzoulias (CRCE) à la question des auditions prévues depuis février dans le cadre d’une mission d’information. Celle-ci leur avait été adressée par la commission de la culture du Sénat suite à des sollicitations de maires ruraux « désemparés » face à la dégradation de leur patrimoine religieux. Ils présenteront leur rapport mercredi 6 juillet.

« Le risque n’est pas tant que ce patrimoine passe aux mains de propriétaires privés, comme cela arrive dans les pays anglo-saxons, où d’anciennes églises ont été transformées en boutiques, en hôtels, en supermarchés ou en discothèques »affirmeront les deux sénateurs dans leur intervention orale, que La Croix un pu consulter. Les contraintes architecturales des églises ne se répercutaient en effet que « modérément » la convoitise des investisseurs.

Accueillir des révisions d’examens ?

En revanche, l’absence d’utilisation et donc d’entretien d’une partie de ces édifices pourraient rendre leur démolition « inéluctable ». Ce danger guette en particulier les églises du XIXe siècle (30 % des églises paroissiales), trop grand par rapport aux besoins actuels et de moindre intérêt architectural. 2 500 à 5 000 édifices sont menacés d’être abandonnés, vendus ou détruits d’ici à 2030, d’après l’Observatoire du patrimoine religieux.

Pour être sauvegardé, jugé les deux rapporteurs, ce patrimoine doit redevenir « significatif et utile » pour la population, y compris les non-pratiquants. « La jurisprudence tend à évaluer vers un usage moins exclusivement cultuel des édifices pertinents de la loi de 1905 »explique le sénateur communiste Pierre Ouzoulias à La Croix. 2006, le code général de la propriété des personnes publiques autorise leur utilisation pour des « activités compatibles avec l’affectation cultuelle ».

Outre les concerts d’orgue et expositions de photos, il pourrait s’agir d’activités plus inattendues, en phase avec les besoins (éducatifs, caritatifs, etc.) de la population, suggère le rapport sénatorial. « Récemment, les églises ont été utilisées comme des refuges dans le cadre du plan canicule. Pourquoi ne pourraient-elles pas, demain, accueillir les élèves qui révisent leurs examens ? »

Des initiatives encore timides

L’idée leur a été soufflée par Benoît de Sagazan, rédacteur en chef du Monde de la Bible (édité par Bayard), auditionné au titre de directeur de l’Institut pèlerin du patrimoine. Il a parlé aux sénateurs d’une église vendéenne devenue, sept mois par an, un centre d’interprétation du vitrail, ou encore d’une église lyonnaise abritant dans sa crypte une épicerie solidaire et, dans l’entrée, un lieu d’ écoute pour étudiants. Des initiatives « timides »observe le spécialiste, qui rappelle que jusqu’à la Révolution, les églises étaient « à la fois des lieux cultuels et des espaces de sociabilité ».

Le secrétaire général de la Conférence des évêques de France (CEF), le père Hugues de Woillemont, a aussi été auditionné. S’il ne s’oppose pas par principe à un usage partagé, il tient à rester vigilant, notamment face au risque d’une  » cloison  » des églises. « On ne peut pas décider, par exemple, que le culte n’aura plus lieu que dans le chœur. Toutes les parties du bâtiment servent à l’expression de la foi. » S’il n’y a pas encore de réflexion concertée à ce propos au sein de la CEF, le père de Woillemont estime que cela devra être le cas, car « le sujet est devant nous ».

De son côté, Pierre Ouzoulias se dit conscient des « croustillants » que le sujet peut engendrer. En particulier en zone rurale, où ses collègues sénateurs font face à davantage de fidèles réticents qu’auparavant. « Le dialogue actuel, qui n’inclut que le curé, le diocèse et la commune, doit être élargi à la communauté paroissiale, mais aussi villageoisesoutient le sénateur PCF. Si on les met devant le fait accompli, on s’expose à des positions de rejet. »

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Huit autres recommandations

La principale proposition du rapport sénatorial est de favoriser l’usage partagé des édifices religieux par des conventions types entre le maire, le curé affectataire et le diocèse.

Les sénateurs font huit autres recommandations. Parmi elles, le lancement d’un inventaire national du patrimoine religieux (le dernier remonte aux années 1980) et le recours aux conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (Caue), organismes départementaux investis d’une mission d ‘intérêt public, pour identifier les solutions possibles pour chaque édifice.

Le rapport s’attarde peu sur les lieux de culte juifs et protestants, qui ont, « depuis longtemps, des approches beaucoup plus mixtes de l’usage de leurs édifices ».