L’attente était à la hauteur des trésors qu’elle recèle. Après dix ans de travaux, la Cité du vitrail (voir encadré, 1) a ouvert ses portes le 17 décembre dernier dans l’aile ouest de l’Hôtel-Dieu-le-Comte de Troyes.
Si le projet a germé dès les années 1970, porté par des dynasties de maîtres verriers, il aura fallu plusieurs expositions à succès et un long temps de réflexion pour que les collectivités locales franchissent le pas.
Au-delà de son chef-lieu, c’est tout un département qui est à l’honneur : avec ses 350 édifices civils et religieux conservant des verrières, l’Aube possède le plus riche patrimoine vitré de France.
Les couleurs du « beau XVIe »
Sous les combles peu éclairés de l’édifice du XVIIIe siècle, deux salles présentent la conception et l’évolution de l’art du vitrail à travers les siècles. Dans cette exposition permanente comme dans le reste de la Cité sont présentés à hauteur de regard des originaux déposés, en attente de retrouver leur lieu d’origine ou qui étaient conservés dans des réserves de musées, dépôts des Monuments historiques ou de communes, et qui seront régulièrement renouvelées. Des explications pédagogiques donnent des clés de lecture et corrigent les idées reçues.
L’art du vitrail n’est pas né au Moyen Âge : des fouilles archéologiques ont révélé des fragments qui datent de la fin du IVe siècle. « Leur fabrication très aboutie laisse penser qu’il existe de plus anciens encore », précise Anne-Claire Garbe, conservatrice de la Cité. La « Transfiguration du Christ », l’œuvre la plus anciennement conservée ici, trône dans la salle du Trésor.
Provenant d’un ensemble de panneaux troyens datés de 1170-1180 dispersés au XIXe siècle, l’ouvrage « fini sous un lit dans le Doubs avant de réapparaître fortuitement lors d’une vente publique en 2018 », s’enthousiasme sa restauratrice Flavie Serrière Vincent-Petit, conservatrice à la Manufacture Vincent-Petit, la dernière en activité à Troyes.
« En mutation perpétuelle », Selon Anne-Claire Garbe, l’art du vitrail n’a rien de figé. À la seule grisaille composée d’oxydes métalliques s’ajoutent, au gré des découvertes, de nouveaux procédés pour peindre le verre.
Comme le jaune d’argent aux environs de 1300, qui, grâce à ses propriétés chimiques, permet de colorer le verre blanc en un jaune transparent et de donner de l’éclat aux autres teintes. « Le Beau XVIe » tient une place de choix dans le parcours. À la faveur d’une période de paix et de prospérité pour toute la Champagne méridionale, Troyes devient l’épicentre d’un foisonnement artistique qui s’exprime dans les nombreuses églises (re)construites dans le style gothique flamboyant.
Au XVIIe siècle, les vitraux passent de mode, jusqu’à leur quasi-disparition au siècle suivant. Ils connaissaient un retour en grâce à partir du milieu du XIXe, où restaurations et créations bénéficiaient d’un regain d’inspiration et d’inventivité technique. De nombreux ateliers s’implantent alors dans l’Aube. Enfin, la collection s’attache à promouvoir la création contemporaine. L’oculus de la superbe chapelle accueille, depuis septembre 2021, un motif tourbillonnant, don de la plasticienne française Fabienne Verdier.
La rescapée de Paris 1878
Dans la galerie des Vitraux, le saint afro-américain en sweat à capuche et paniers de l’artiste états-unien Kehinde Wiley (2014) détourne les codes et dépoussière le genre.
Baignée de lumière naturelle, cette salle a été pensée comme un espace de contemplation d’œuvres d’exception, en partie changées chaque année.
Preuve enfin que l’art du vitrail n’est pas uniquement religieux – des exemples civils ont été trouvés dès le VIe siècle –, elle expose également « l’Histoire de la céramique », verrière édifiée par Louis Charles Auguste Steinheil pour l’Exposition universelle de 1878 à Paris.
Seule rescapée d’un ensemble de quatorze baies représentant les arts industriels, elle fut mise en caisse avant d’être redécouverte en 1997 et ressortie ici pour la première fois.
Il faut braver le froid pour contempler les œuvres. Les nombreuses églises du centre-ville donnent un aperçu de l’exceptionnelle richesse vitrée auboise. Pour les plus pressés, à quelques pas de la Cité, la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul et ses 1 500 m2 de verrière offrent un panorama quasi complet de l’iconographie et de leur évolution stylistique.
De pâles rayons dorés illuminent soudainement la nef et éclairent ses parois de verre. Sacrés ou profanes, les vitraux célèbresnt l’audace humaine qui, pour sublimer son geste, s’associent au soleil.
Nos recommandations au détour des rues, pour découvrir l’art verrier :
1. La Cité du vitrail, Hôtel-Dieu-le-Comte, 31, quai des Comtes-de-Champagne.
2. La cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul, place Saint-Pierre. Véritable « conservatoire » du vitrail qui possède une des plus grandes surfaces de verrières historiées de France.
3. La basilique Saint-Urbain, place Vernier. La collégiale illustre le tournant du XIIIe siècle : voûtes sur croisées d’ogives, arcs-boutants et renforts métalliques permettent d’évider les murs pour y placer d’immenses vitraux.
4. L’église Saint-Pantaléon, 15, rue Vauluisant. Les verrières de l’« Histoire de Daniel » et de « Ll Passion » (1531) représentent l’évolution de l’école troyenne de peinture sur verre : conformément à l’esthétique nouvelle de la Renaissance, la polychromie éclatante s’affiche au profit de la grisaille et du jaune d’argent.
5. Juste en face, la salle du musée de Vauluisant (gratuit) expose des vitraux du « Beau XVIe » et des exemples de production civile.
6. L’église Sainte-Madeleine, 3, rue de la Madeleine. Dans son chœur, la « Création des astres » (début XVIe siècle) offre un bel exemple d’étoiles « montées en chef-d’œuvre », exercice délicat qui consiste à insérer des pièces cerclées d’une baguette de plomb dans une plus grande.
7. L’église Saint-Rémy, 9, place Saint-Rémy. Ici se niche la « Proclamation de saint Joseph patron de l’Église universelle par le pape » (1874), chef-d’œuvre du maître verrier Louis Germain Vincent-Larcher, le plus prolifique du deuxième âge d’or.