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vitalité des langues et pratiques culturelles locales à La Réunion et à Mayotte

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Les cultures locales, notamment la musique et les langues régionales comme le créole, avaient été plébiscitées dans l’enquête réalisée en 2021 par le département des études, de la prospective, des statistiques et de la documentation du ministère de la Culture sur les pratiques culturelles en Guadeloupe, Martinique et Guyane.

C’est également un attachement très fort aux cultures locales, en particulier les langues régionales, qui ressort des deux nouvelles études sur les pratiques culturelles dans les Outre-mer, qui nous conduit aujourd’hui à la rencontre de deux îles de l’océan Indien : La Réunion et Mayotte. Décryptage avec Amandine Louguet, leur coauteure avec Maryse Dehon.

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Quelles sont les pratiques culturelles qui rapprochent les deux îles ?

Dans ces deux territoires ultra-marins, on constate une très forte pratique des langues locales, c’est l’un des seuls points communs, très fort certes, entre ces deux îles. Il s’agit en effet de territoires très différents, d’abord en termes d’expression culturelle, mais aussi en termes d’équipements. A la Réunion, ceux-ci témoignent de l’antériorité de la présence de l’État français. Pour mémoire, Mayotte n’est un département français que depuis 2011.

Comment peut-on expliquer que les langues locales soient si bien appliquées ?

À Mayotte, une grande partie de la population est étrangère. Le shimaore, l’une des deux principales langues parlées, est la langue véhiculaire qui ressemble au plus au comorien. On peut donc émettre l’hypothèse que les personnes qui arrivent de l’étranger par une phase de shimaore. Par ailleurs, cette langue, comme le kibushi, l’autre langue principale de l’île, se transmet au sein de la famille. Si on constate une indéniable progression du français en raison de la mise en place des écoles, le shimaore et le kibushi restent les langues du quotidien. Quant à la Réunion, en raison d’un mode de transmission familial, le créole est en effet très présent.

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On constate un écart s’agissant des équipements culturels, dites-vous. Cette donnée ne doit-elle pas être corrélée avec le fait que 77 % des mahorais vivent en dessous du seuil de pauvreté ?

Une grande majorité de Mahorais est dans une situation socio-économique difficile. Si des politiques culturelles se mettent progressivement en place, la culture, pour des raisons évidentes, n’apparaît pas comme une priorité. Malgré tout, un certain nombre d’équipements culturels s’installent progressivement.

A la Réunion, la problématique est différente : ce n’est pas un déficit d’équipements culturels qu’on constate, c’est plutôt une question de distribution de ces équipements sur le territoire : ceux-ci sont concentrés autour de Saint-Denis , mais aussi dans l’ouest, et le sud de l’île. En revanche, le centre de la région est le moins doté. Conséquence : les pratiques de type cinéma ou théâtre sont moins intenses que dans le reste du territoire.

On constate un très fort tropisme des Réunionnais pour les pratiques musicales, notamment les concerts

En termes de pratiques culturelles, quels sont les faits saillants pour chacune des deux îles ?

A la Réunion, l’omniprésence du créole se répercute sur les autres pratiques : on écoute de la musique en créole, on parle en créole au quotidien… Par ailleurs, les pratiques autour de la télévision, de la radio et de l’écoute de la musique est assez proche de ce qu’on observe en France métropolitaine. Sur la question de la lecture, en revanche, les résultats sont légèrement inférieurs. Idem pour la fréquentation des bibliothèques. L’illettrisme en langue française est encore relativement présent à la Réunion.

On constate en revanche un très fort tropisme des Réunionnais pour les pratiques musicales, notamment les concerts. C’est également vrai à Mayotte. Écouter de la musique est aussi l’occasion de se retrouver. De grands artistes locaux tournent sur l’île et sont extrêmement suivis. Les pratiques locales autour du fonnkér, la poésie réunionnaise, sont notamment extrêmement prises. La sociabilité est beaucoup plus forte qu’en France métropolitaine.

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Arrêtons-nous sur la télévision et le cinéma. S’agissant de la télévision, la fracture générationnelle est très nette. Les jeunes, en outre, semblent particulièrement plébisciter le cinéma.

Oui, en effet, mais en vérité, que ce soit en France métropolitaine ou dans les autres territoires ultra-marins, on constate partout un désamour très net des plus jeunes pour la télévision, qui se tournent vers YouTube et les réseaux sociaux. Il en va de même pour le cinéma, si les jeunes vont davantage voir de films que leurs aînés, c’est une tendance que l’on constate partout.

Désamour pour la télévision mais aussi pour la presse écrite…

La publication consacrée aux pratiques informationnelles, que le Deps-doc va prochainement publier, confirme que les jeunes se tournent de plus en plus vers les réseaux sociaux. À la Réunion, chez les 15-24 ans, c’est le premier média d’information devant la télévision et la radio. Il ne faut cependant pas négliger la question de l’accès à l’information. Lorsqu’on ne maîtrise pas le français à l’écrit, on ne va pas laisser se tourner vers les médias papier. Par ailleurs, l’offre locale de presse écrite dans les territoires ultra-marins est très différente de ce que l’on observe en France métropolitaine. Plusieurs facteurs se cumulent et tendent à expliquer ces pratiques informationnelles différentes.

L’importance des réseaux sociaux pose de nombreuses questions, notamment en termes d’éducation aux médias…

Pour mémoire, à la Martinique, nous avons présenté les résultats devant le Préfet et les services de l’État. Les données concernant les pratiques informationnelles avaient particulièrement retenu l’attention. La part des Martiniquais s’informant via les réseaux sociaux dans l’enquête menée en 2019-2020 est plus importante que ce que l’on constate en France métropolitaine. Avec notre enquête autour des pratiques informationnelles, nous avons souhaité approfondir cette thématique dans une optique d’étude et de recherche, bien sûr, mais aussi mettre des informations factuelles à la disposition des décideurs.

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En termes de pratiques culturelles, quelles sont les principales tendances présentées à Mayotte ?

À Mayotte, on observe une pratique amateur du chant, de la danse et du théâtre presque deux fois plus importante qu’en France métropolitaine. Cela s’explique notamment par des traditions locales, notamment le debaa. C’est une pratique qui mêle la danse, le chant et le théâtre, et qui sollicite tout particulièrement les pratiques féminines. Il y a des groupes au sein des villages, des concours qui sont retransmis à la télévision. C’est quelque chose d’extrêmement suivi. De façon symétrique, il existe des pratiques plus masculines notamment à l’occasion des mariages, le Chigoma.

Il y a également un théâtre particulier, mêlant morales et petits contes, très populaire, notamment au sein des villages, où il n’y a pratiquement pas d’équipements culturels. Ces pratiques ont lieu sur la place d’une ville, d’un village, à l’occasion d’une fête. Elles parviennent à se développer et sont même relativement intenses. Les Mahorais sont heureux de parler de leur culture. L’installation progressive des équipements va permettre à la population d’en profiter. Le risque serait toutefois que ces cultures locales perdurent de leur vigueur. C’est un point de vigilance.

Les Mahorais sont heureux de parler de leur culture, notamment de ces formes spécifiques mêlant chant, danse et théâtre

Autre résultat significatif révélé par votre étude : l’importance de la lecture d’ouvrages religieux. Comment l’analysez-vous ?

C’est une spécificité de Mayotte. Une partie importante de la population déclare avoir une religion, la première d’entre elles étant la religion musulmane. Cette pratique de la religion musulmane implique la lecture du Coran mais aussi d’autres livres religieux. Cela a un impact significatif sur les résultats de notre enquête concernant la lecture.

Le taux de pratique de la lecture, qui est plus important qu’à la Réunion ou même dans les Antilles, s’explique donc notamment par la lecture de livres religieux. Cette donnée a particulièrement retenu l’attention des acteurs de la culture à Mayotte. Elle montre que si une partie de la population n’a pas encore accès à la lecture en langue française, elle maîtrise en revanche un autre type de lecture. L’objectif d’une enquête comme celle-ci est aussi de mettre en lumière des pratiques locales spécifiques.

Pratiques culturelles à La Réunion et à Mayotte par Maryse Dehon et Amandine Louguet, Collection Culture études, deux fascicules de 16 p., département des études, de la prospective et des statistiques, ministère de la Culture, juillet 2022