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« L’architecture est un sport collectif »

Sur le palier, une maquette de la Cité des électriciens indique que nous sommes au bon endroit. On entre dans un atelier baigné de lumière où, sur les étagères, les maquettes des réalisations passées et des projets à venir trônent à côté de matériaux bruts et de carreaux colorés annonciateurs du futur. C’est dans ce décor propice à la création que Philippe Prost a installé l’agence qu’il a créée avec son associée Catherine Seyler. En 2019, deux autres associés – Gaël Lesterlin et Lucas Monsaingeon – les ont rejoints pour structurer l’équipe, qui compte aujourd’hui une trentaine de collaborateurs. « L’architecture est un sport collectif, on ne marque pas le but tout seul, ce n’est pas une œuvre solitaire », assure l’architecte, en déterminant la place des différents partenaires, « bureaux d’étude, maître d’ouvrage ou entreprises ».

De fait, le travail de Philippe Prost est tout entier guidé par l’idée du collectif et c’est ce sens du travail en commun et de l’inclusion que le jury du Grand prix national de l’architecture a souhaité récompenser en octobre dernier . Cette distinction, la plus prestigieuse en France dans la discipline, récompense l’ensemble de l’œuvre d’un architecte. « C’est un prix qui n’arrive qu’une fois dans une vie, une reconnaissance du travail mené, une consécration. » Une manière également de couronner deux qualités inhérentes, selon lui, à tout architecte : « l’ambition » d’imaginer des projets qui vont durer dans le temps, et « l’humilité » de ne rien faire seul.

De la musique à l’architecture

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La Citadelle Vauban à Belle-Île-en-Mer

Pourtant, ses débuts dans l’architecture sont un peu le fruit du hasard. En 1983, c’est plutôt un tropisme artistique – il entame en parallèle de sa scolarité des études musicales – qui le pousse vers l’orgue, son instrument de prédilection, qui le fascine. « J’étais en terminale S et je n’avais pas envie de faire une école d’ingénieur mais de la musique. » Ses parents étant peu enclins à le voir embrasser une carrière artistique, il intègre une école d’architecture sur les conseils de son professeur de piano. « Il m’avait dit que son frère faisait archi et que ça avait l’air très cool », confie-t-il dans un sourire. Menant de concert ses études et sa pratique instrumentale, c’est un déclic, résultant par une de ses professeurs, qui décide de sa carrière. « Quand l’architecture vous attrape, elle ne vous lâche pas. C’est quelque chose d’assez difficile à définir : vous pouvez faire œuvre de tout avec presque rien. Cette passion ne m’a plus quitté. »

Après ses études, Philippe Prost s’intéresse à la recherche : il se plonge dans des livres d’histoire de l’architecture et les archives et prépare une thèse sur l’ingénierie militaire ainsi qu’une exposition aux Invalides sur les plans-reliefs . Tous ces projets sont le point de départ d’une rencontre qui va changer sa carrière : celle avec Anna et André Larquetoux, propriétaires de la citadelle Vauban à Belle-Île-en-mer. Le couple cherche un architecte capable de s’attaquer à ce projet pharaonique de réhabilitation de l’édifice. « Je reçois une lettre de leur part pour s’attacher à mes services mais je leur réponds que je n’ai pas d’expérience. Ils me répondent : « il faut bien démarrer ». » Ce projet de quinze ans mettra le pied à l’étrier à Philippe Prost qui crée dans la foulée son agence en 1993.

Un travail sur la mémoire des sites

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L’Anneau de la Mémoire, dans le Pas-de-Calais

De ses études et de cette expérience, Philippe Prost garde une passion pour Vauban, à qui il a offert un livre en 2007 et dont les préoccupations réjouissent, selon lui, les aspirations à la sobriété énergétique d’aujourd’hui. « C’est un pionnier de l’architecture puisque sa première obsession était de collecter les eaux de pluie et aujourd’hui, tout le monde se rend compte qu’il faut consommer moins de ressources. Il était obsédé par l’économie de moyens et la pérennité de ses ouvrages. » Plus de trois cents et après la mort du génial ingénieur, architecte et urbaniste, Philippe Prost tente de reprendre à sa manière ces grands préceptes plus que jamais d’actualité. L’Anneau de la mémoire, grand mémorial international dédié aux 580 000 victimes de la Première Guerre mondiale tombées dans le Nord et le Pas-de-Calais, est intégré dans des matériaux pérennes lui permettant de durer encore cent ans.

Le nord de la France et en particulier le bassin minier a particulièrement inspiré l’architecte qui a également réhabilité en 2017 la Cité des électriciens, à Bruay-la-Bussière, l’une des plus anciennes de la région. Sur la parcelle, l’agence a imaginé un ensemble de logements, d’écoles mais également des ateliers d’artistes et un centre d’interprétation destiné à raconter le passé industriel de la région. Sur ce projet, l’atelier a travaillé à la fois avec des historiens mais aussi des ingénieurs sur des nouvelles techniques permettant de stocker l’énergie puis de déstocker en cas de besoin. À côté d’un ancien bâtiment réhabilité, un autre avec un volume analogique a été intégré avec des matériaux comme le bois ou des matières recyclées. Une manière d’explorer la notion de mémoire et d’innover sans dénaturer sur des sites souvent oubliés par l’Histoire. « C’est une manière d’écrire une nouvelle page, donner une dimension contemporaine sans rompre avec le passé, faire évaluer sans devenir amnésique. »

« Pas de page blanche »

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La Monnaie de Paris

L’atelier d’architecture de Philippe Prost s’est spécialisé dans la création et l’intervention contemporaine sur le bâti historique, comme récemment avec le réaménagement de la Monnaie de Paris, autre gros projet de son atelier. « Quand on rase, c’est qu’on estime que plus rien n’est possible. Ou, cela est très rare. » Avant chaque projet, l’architecte se pose la question du site et de son histoire. C’est ainsi qu’il transforme l’ancienne cartoucherie nationale en cluster du dessin d’animation à Bourg-les-Valence (Drôme), l’ancienne briqueterie de Gournay (Val-de-Marne) en centre de développement chorégraphique national ou bien encore s’apprête à transformer la Grande Écurie du château de Versailles en campus d’excellence dédié aux métiers d’art et du patrimoine. « Il n’y a pas de page blanche ! Le sol comporte toujours une trace, un vieux bout de bâtiment. L’architecture naît de la confrontation avec ces contraintes. » Pour l’Anneau de la mémoire, c’est le propre relief du terrain qui a inspiré l’architecte de mettre une partie de l’ouvrage ovale de 345 mètres de périmètre en porte-à-faux au-dessus du vide pour exprimer la fragilité de la paix.

Philippe Prost, qui n’aime rien tant que croiser les disciplines et dialoguer avec les maîtres anciens – il cite Umberto Eco et Baudelaire dans ses conférences et s’inspire de Mozart pour le Mémorial de la Première Guerre mondiale – se distingue également par son engagement dans la transmission de son savoir aux futurs architectes. « L’enseignement, c’est transmettre des choses auxquelles je crois tout en récompensé beaucoup en échange. Certaines questions de mes étudiants me remettent en question. C’est enrichissant des deux côtés. » Il mène en parallèle un travail à la frontière de la science et de l’architecture avec un laboratoire situé dans l’école nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville qui travaille sur les matériaux et de nouvelles méthodes de construction. « C’est une manière d’aller plus loin, d’accumuler du savoir et de le faire connaître. » Et – surtout – de préparer le futur avec les architectes de demain.

Disparition de Renée Gailhoustet, prix d’honneur du Grand Prix national d’architecture 2022

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En octobre dernier, elle avait obtenu, en même temps que Philippe Prost, le prix d’honneur du Grand Prix National d’Architecture pour l’ensemble de sa carrière. Renée Gailhoustet, 93 ans, est décédée début janvier à Ivry-sur-Seine, où elle résidait. Cette ville fut l’un des terrains de jeu de cet architecte, l’une des premières femmes à exercer ce métier en son nom propre. Elle fut en effet l’architecte en chef de la rénovation du centre-ville où elle imagine un espace de vie plus ouvert, plus libre, plus créatif et sa première construction fut celle de la Tour Raspail, inscrite en 2022 au titre des Monuments historiques . Elle avait également travaillé sur les espaces extérieurs et les logements du quartier de la Maladrerie, à Aubervilliers.

Face à la construction standardisée et productiviste de l’époque des Trente Glorieuses dans l’habitat social, Renée Gailhoustet a mené une réflexion sur l’individualisation de ces logements avec des immeubles marqués par la figure du triangle qui privilégie les échanges entre les habitants, le rapport à l’espace extérieur et la fluidité des circulations.

Jusqu’à la fin de sa carrière, son travail et ses recherches ont été reconnus et conditionnés par le monde de l’architecture, en France comme à l’étranger, et plusieurs ensembles qu’elle a intégrés bénéficient du label Architecture Contemporaine Remarquable.